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L’éveil des sens, la nouvelle clef de succès des marques de mode ?


Docteur en Sciences de Gestion, Agathe Dementhon est aujourd’hui experte en marketing (stratégie de marque, attitudes et comportements des consommateurs, décryptage des tendances, prospective), et spécialiste des secteurs du luxe, de la mode et de la beauté (missions pour LVMH, PPR, Longchamp, L’Oréal PCI, Baccarat, Mango…).
Bénéficiant de 12 ans d’expérience en instituts d’études dont RISC International et Ipsos Marketing, Agathe Dementhon a développé sa propre structure et travaille de façon indépendante pour le compte d’instituts et de cabinets de tendances.



Il n’est plus à démontrer que les éléments rationnels tels que l’utilité ou le prix d’un produit ne sont pas systématiquement, de nos jours, les seuls moteurs d’un acte d’achat. La valeur émotionnelle liée aux perceptions peut jouer un rôle prépondérant. Les industriels l’ont bien compris. Depuis longtemps. La vue, le toucher ou encore le goût font partie intégrante du marketing produit depuis des décennies. Les deux autres sens, à savoir l’odorat et l’ouïe, n’ont été exploités que plus tard. Aujourd’hui, le concept de poly-sensorialité appliqué aux différents points du mix semble incontournable. Dans un monde marchand internationalisé et toujours plus concurrentiel, tout est bon pour séduire le client.
Pourtant, les investissements en la matière restent limités sur les points de vente, spécialement dans le secteur de l’habillement. Longtemps considéré comme un gadget par les enseignes, surtout en France, le marketing sensoriel peine à se systématiser.

Le marketing sensoriel comme moteur d’achat
Accroître le bien-être du consommateur, créer une expérience shopping et placer le chaland dans une ambiance propice à l’achat, tels sont bien les objectifs du marketing sensoriel, terme apparu dans les années 90, lorsque l’olfactif est entré dans la partie.
Le marketing sensoriel, subtile approche du consommateur, tente d’intégrer dans la démarche commerciale de l’industriel la compréhension des perceptions humaines et de la subjectivité. Tâche délicate, en particulier lorsqu’il s’agit de l’appliquer sur le point de vente. Créer des sensations, faire vivre une expérience particulière, pourquoi pas unique, donner l’envie au shopper de s’attarder dans la boutique et même de revenir, tels sont les enjeux. Enjeux à caractère commercial, le but ultime, bien entendu, étant de pousser l’individu à ouvrir son porte-monnaie.
Le consommateur, nous le savons, est plus complexe, volatile et stratège qu’autrefois. Il n’achète plus uniquement un produit, une marque ou un logo. Désormais, il demande à être surpris, étonné, chouchouté. Le shopping comme divertissement, comme activité réconfortante, allié à l’un des grands courants de notre époque, la quête de personnalisation. L’inconscient est sollicité. L’irrationnel est stimulé. Il ne s’agit plus de parler de simples fonctionnalités.
L’idée de poly-sensorialité plane depuis des lustres sur l’univers de la distribution mais n’était pas systématique jusque là. Dans les années 50, marketings visuel et tactile flirtaient déjà avec certains points de vente. Eclairages spécifiques, moquettes velours, espaces vidéos comme chez Décathlon. Dans les années 60, la musique s’en mêla. Utilisée d’abord dans la publicité (l’emblématique musique de Dim colle à tout jamais à l’identité de la marque), elle entra rapidement dans les espaces de vente pour créer une ambiance particulière. Une manière judicieuse, simple et bon marché d’influencer les réactions comportementales du client et d’impacter ses réactions affectives (plaisir, humeur, émotion) et cognitives (perception de l’image du magasin et des valeurs de l’enseigne). Nous ne parlerons pas ici du marketing gustatif, apparu dans les années 80, mais qui laissa quelque peu pantois les points de vente, hormis dans la distribution alimentaire où il est facile de l’utiliser. Puis les années 90 virent apparaître l’olfactif, une nouveauté majeure dans un monde où le consommateur commença à être saturé d’images et de sons. Un point essentiel dans le marketing sensoriel du fait que l’odorat semble véhiculer plus d’émotions que les autres sens et permette de ressusciter des sensations profondément enfouies.
Aujourd’hui, tous les sens ont été exploités en marketing mais une difficulté réside, en particulier lorsqu’il s’agit du point de vente : chaque individu perçoit les choses à sa façon, selon sa culture et son vécu. La personnalisation de l’offre ou d’un point de vente est donc illusoire. En revanche, créer un univers fort et original permet de renforcer l’identité d’une marque et de ses produits et constitue un réel facteur de différentiation pour une enseigne. Nature & Découvertes l’a largement démontré. Une tasse de tisane aux sept plantes offerte à l'entrée du magasin, des bruits d'eau qui s'écoule, une légère odeur de cèdre diffusée au détour des rayons, tel est ce que chacun d’entre nous s’attend à trouver en entrant dans l’une des boutiques de l’enseigne. En promettant de « reconnecter le client urbain à la nature », Nature & Découvertes a développé plus qu'une ambiance. Elle a créé un modèle.

Le marketing sensoriel, une piste de différentiation sous-exploitée dans la mode
Et dans le secteur de la mode ? La vue est le sens le plus sollicité en boutique. Le design, les couleurs, l’éclairage constituent une atmosphère parfois fortement identitaire lorsqu’ils sont bien pensés et en phase avec les valeurs de la marque. La rénovation des boutiques de la marque de prêt-à-porter haut de gamme Lacoste, en 2008, n’est pas passée inaperçue. Espaces et lumières de couleur luxueusement conjugués pour mettre en valeur des articles dans une ambiance chaleureuse et conviviale. Un espace lounge et un bar tout en courbes et design. « Un peu d’air sur Terre ». Une identité forte relayée par les boutiques. Et Lacoste n’en est pas restée là. Evoluant avec son temps, voilà que la marque a inauguré, fin 2010, une nouvelle boutique, dans le Marais, à Paris, puisant dans l’essence même de son nouveau concept : L!ve. Un espace lumineux et spacieux, flanqué d’un parquet brut marqué de lignes de terrain de sport et équipé d’une borne d’arcade Pac-man pour dynamiser les ventes de sa ligne colorée qui cible les 15-25 ans.
Nombreuses sont les enseignes de mode qui depuis plusieurs années ont restructuré leurs points de vente pour les rendre plus attractifs et donner au consommateur l’impression qu’ils y sont mieux qu’ailleurs, que leur quotidien s’embellit losrqu’ils entrent dans ces antres de la consommation. Le bois pour la chaleur et le côté luxe chez Zara, la musique jazz chez Célio, du hip-hop ou de la techno chez Citadium, à chacun sa signature sensorielle.
Mais beaucoup reste à faire. Certaines enseignes n’ont pas encore trouvé un lien cohérent entre la marque, l’offre produits, la communication et le point de vente. Et quasiment aucune marque n’utilise l’olfactif sur le point de vente, puissant créateur de sensations pourtant. La difficulté réside dans le côté mystérieux de l’olfactif, difficile à travailler. Les boutiques de la marque de prêt-à-porter féminin Caroll en ont fait l’expérience en diffusant un parfum d’ambiance, mélange de pamplemousse et de thé. Mais l’avons-nous vraiment retenu ?
Ainsi, de nombreuses pistes restent à explorer et de plus en plus d’experts proposent d’identifier, de façon très précise, le profil sensoriel d’une marque ou d’un lieu de vente.
La marque de prêt-à-porter Abercrombie & Fitch a-t-elle consulté l’un d’entre eux ? Visant plutôt, à l’origine, des professionnels et des amateurs de sport de plein air, cette marque s’est largement appuyée sur le marketing sensoriel pour prendre son envol et s’étendre auprès du grand public, en particulier des plus jeunes. Lumière tamisée en contraste avec la couleur des vêtements, vendeurs au physique parfait et à l’énergie incontestable. De la musique électro, ambiance boîte de nuit. Des effluves du tout nouveau parfum de la marque, diffusées toutes les heures par les vendeurs. Et petite animation pour vous, Mesdames, une photo souvenir avec les vendeurs so sexy ! Tout cela dans plus de 1000 boutiques dans le monde. Proposer à la clientèle de vivre un moment spécial, voire inoubliable, pour communiquer un positionnement fort et pousser à la consommation, une réussite sans conteste et très remarquée pour Abercrombie & Fitch.

Le marketing sensoriel ou expérientiel, vous l’aurez compris, devient une importante clef de différentiation. D’autant qu’à l’ère d’Internet, une relation plutôt froide et aseptisée s’est instaurée entre l’internaute et les enseignes qui doivent aujourd’hui redoubler d’ingéniosité pour faire entrer à nouveau les consommateurs dans les boutiques.


Agathe Dementhon
30 janvier 2012

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